Toucher un corps, c’est toucher un corps physique mais c’est aussi toucher un corps émotionnel et un corps symbolique. Ces trois dimensions sont très fortement imbriquées et il peut même être illusoire de vouloir à tout prix dire ce qui appartient à l’une ou à l’autre mais elles facilitent le discours sur le toucher considéré comme un art dans notre pratique.
Je passerai rapidement sur la notion de corps symbolique et encore plus rapidement sur la notion de corps physique, pour m’intéresser plus particulièrement à la notion de corps émotionnel.
Corps symbolique, dimension liée au langage et donc à la distinction signifiant/signifié, comment nous pensons notre corps, ce que nous en disons, ce qu’il représente au delà de l’anatomie , des fonctions physiologiques, de notre corps physique donc, corps toujours présent dans toutes nos interactions sociales même à notre insu.
Par exemple comment nous voyons notre propre mort, acceptons nous de “donner notre corps à la science”, de l’incinérer ?
Les rituels liés à l’enterrement, le respect dû au corps, il s’agit bien évidemment du respect dû à quelque chose d’autre que du respect dû à un amas de cellules mortes.
Les zones du corps valorisées dans notre culture, les zones qui peuvent être touchées dans telle ou telle circonstance, ce que l’on peut montrer dans telle circonstance, tel environnement, ce qui est “bien” ou “pas bien”, ce “qui se fait” ou ce qui “ne se fait pas”.
Pour faire court, tout nos “contrôles corporels” acquis dans notre culture et dans notre histoire personnelle depuis nos premiers pas sont toujours présents dans toutes nos interactions sociales. Conscients ou plus souvent inconscients ils gouvernent nos comportements.
Corps émotionnel, une émotion est une réaction psychologique et physique à une situation. Elle est provoquée par la confrontation à une situation et à l’interprétation, l’évaluation de celle-ci en termes de significativité pour la survie et le bien être de l’individu.
Deux approches principales dans l’étude des émotions :
- Les théories dites “des émotions de base”, où toute émotion apparait comme une combinaison d’émotions primaires comme par exemple : la joie, la surprise, la colère, la tristesse et la peur (“Emotion & Adaptation” de Richard S. Lazarus, Oxford University press).
- Les théories dites “de l’évaluation cognitive” où l’émotion est le fruit des évaluations cognitives que l’individu fait au sujet de l’événement où de la situation, qu’il/elle soit externe ou interne, une évaluation cognitive étant définie comme un processus cognitif, rapide, automatique, inconscient, dont la fonction est d’évaluer les stimuli perçus sur la base de critères particuliers.
Pour la Médecine Traditionnelle Chinoise(MTC) tout s’organise autour de 5 éléments représentés symboliquement par Le Feu, la Terre, le Métal, l’Eau et le Bois, les émotions n’y échappent pas et se retrouvent associées à ces éléments et donc associées aux organes caractéristiques de ces mêmes éléments, ainsi la colère est associée au Foie, la joie au Cœur, la tristesse au Métal, la peur à l’Eau, la sérénité/tranquillité à la Terre. Le tableau suivant résume ces associations de façon plus détaillées :
Bois | Feu | Terre | Métal | Eau | |
Organe | Foie | Coeur | Rate | Poumon | Rein |
Emotion positive | Gentillesse | Joie | Sérénité | Bonheur | Courage |
Emotion négative | Colère | Anxiété | Inquiétude | Tristesse | Peur |
Expression vocale | Cri | Rire | Chant | Pleurs | Plainte |
Pas plus en MTC qu’en psychologie scientifique ou clinique il n’y a d’échelle objective de mesure des émotions mais ce qui est intéressant ici c’est que le corps est considéré comme le siège, le support des émotions et qu’une action sur celui-ci peut modifier l’état émotionnel d’une personne et donc l’état physiologique de celle-ci. Un concept très intéressant pour notre pratique peut être emprunté à la psychanalyse, le moi-peau (“Le Moi-peau”, Didier Anzieu, Dunod), la peau, enveloppe/frontière du corps entre l’intérieur et l’extérieur et le moi enveloppe psychique du corps incarnée par la peau.
Toucher un corps c’est aussi toucher le moi, avoir accès au moi, le faire réagir sans passer par le langage.
Au cours d’un shiatsu des émotions, crises de larmes, fou-rire… peuvent surgir, le corps réagit émotionnellement, “ça devait sortir”, en psychanalyse le corps est aussi considéré comme le siège de la mémoire inconsciente, souvenons nous de la madeleine de Proust, le toucher peut faire ressurgir de notre passé des souvenirs enfouis/refoulés que nous pensions oubliés.